Arianrhod
Je me rends compte que je n'ai pas encore partagé avec vous tout ce que j'ai pu trouver concernant Arianrhod au cours de mes recherches, de mes découvertes, de ces soirées que je lui ai dédiées. Arianrhod est une déesse méconnue, voire inconnue la plupart du temps, mais qui représente tant pour moi et qui a une telle importance en mon coeur et ma spiritualité que je me devais de vous parler d'elle.
Origines et description
Le mythe d'Arianrhod apparaît dans les Mabinogion, ce sont quatre récits médiévaux qui narrent des épisodes de la mythologie celtique galloise antique. Les Mabinogion sont divisées en quatre parties, les Quatre Branches du Mabinogi, et Arianrhod apparaît dans la dernière Branche, appelée "Math fils de Mathonwy".
Arianrhod est une déesse, fille de la déesse Don et du dieu Beli. C'est une déesse associée aux étoiles, et qui présiderait aussi au tissage, du temps comme des destins ; par là, elle est aussi rattachée à la Mort et à la renaissance dans une vie après que la précédente soit terminée. Son nom venant d' "Arian", "argent", et de "Rhod", "roue", on lui associe souvent une roue d'argent qui symbolise le passage immuable du temps et le cycle éternel de la roue des saisons à travers l'année. Le motif de la spirale suffit aussi à l'évoquer.
Puisqu'elle tisse les toiles du destin, on lui donne pour symbole l'araignée qui tisse elle aussi sa toile, mais aussi une chouette avec des yeux perçants et acérés. Arianrhod prenait parfois la forme d'une chouette, qui d'un regard pouvait lire jusqu'aux tréfonds de l'âme d'une personne et au travers les plus profondes obscurités de cette âme.
Arianrhod est une déesse très lunaire, physiquement, opaline. Une peau d'albâtre extrêmement pâle, des cheveux argentés... en cela on lui associe le blanc et l'argent.
C'est une déesse qui se rapproche d'Artémis dans le sens où elle vivait une vie très libre. Elle possède un château dans le nord qui s'appelle Caer Arianrhod et s'élève en spirale étoilée dans le ciel, qui serait en fait la Voie Lactée ou une Aurore Boréale. En tant que déesse de la mort et des renaissances, c'est elle qui se chargeait de mener les morts jusqu'au royaume d'Emania à bord d'un navire qu'elle commande, et c'est au Caer Sidi d'Emania qu'elle initiait ces âmes, entre deux vies, à la prochaine vie qui les attendait et dans laquelle elle les ferait renaître. On dit que les poètes tenaient leur sens de la beauté et leur compréhension des choses des souvenirs qu'ils ont d'Emania.
C'est aussi une figure très puissante du pouvoir féminin. Elle mène une vie libre de toute liaison conjugale, et passe son temps libre en compagnie de femmes tout aussi libres qu'elle, se complaît dans des promenades près des mers sauvages ; on lui sait de nombreuses liaisons avec des hommes vivant près de la mer.
Dans le symbole de la Triple Déesse celte, Arianrhod n'est pas la Demoiselle ni l'Ancienne, mais la Mère en ce qu'elle rallie les idées de vie, de mort, naissance et résurrection, et qu'on lui associe l'image maternelle de la pleine Lune. Elle est la Mère en qui l'on peut trouver refuge et conseil pour renaître par eux, et par elle. Elle est symboliquement celle qui nous aide à renaître, à donner naissance à un nouveau "soi" qui vivra mieux en adéquation avec lui-même et avec le monde. En cela je crois qu'Arianrhod est une mère parfaite, puisqu'elle veille à la réincarnation d'une vie à l'autre, mais qu'en se transformant en chouette, elle peut discerner au fin fond de l'âme de quiconque la meilleure façon de le faire renaître, et l'y guider.
Histoire
Math ap Mathonwy, roi du Gwynned, est un roi magicien. Il doit, pour préserver sa légitimité au trône et conserver son pouvoir, avoir constamment les pieds placés sur les genoux d'une jeune fille vierge lorsqu'il est en son château. Au début de l'histoire, c'est Goewin qui tient ce rôle. Seulement, un jeune dieu, Gilvaethwy, est amoureux d'elle ; et le statut d'éternelle vierge de Goewin ne l'enchante pas. Par ailleurs, il ne peut à aucun moment se retrouver seul avec elle puisque le roi Math est en sa présence à chaque instant. Le seul moyen d'être seul avec Goewin, c'est que Math parte en guerre.
Alors Gilvaethwy fait appel à son frère, Gwydion, pour l'aider à obtenir ce qu'il souhaite de Goewin. Gwydion est très rusé et réussit, par mensonges et magie, à provoquer une guerre entre Math et le roi Pryderi. La guerre a provoqué par de faux prétextes un vrai carnage, et la mort de Pryderi. Pendant ce temps, Gilvaethwy a réussi à rester seule avec Goewin, et la force à lui céder sa virginité. Lorsque Math rentre, il punit sévèrement Gwydion d'avoir provoqué un massacre inutilement, et Gilvaethwy du viol. Math épouse d'ailleurs Goewin pour ne pas la laisser déshonorée et pour montrer la profonde affection qu'il a pour elle.
Cependant, Math tient son pouvoir d'une vierge, et vierge il n'y a plus. Revenu de son châtiment et pardonné, Gwydion décide de présenter au roi sa soeur, la déesse Arianrhod, pour devenir celle qui recueillerait ses pieds et maintiendrait son pouvoir. Mais à la condition qu'elle soit vierge, bien entendu...
Quand Arianrhod en est informée, elle n'y voit pas de problème ; certes, elle a eu des liaisons, mais pour elle être vierge signifie être incorruptible. Math lui demande de marcher par-dessus une baguette ensorcelée pour vérifier, et il apparaît clairement qu'Arianrhod n'est pas vierge au sens où Math l'entend.
A l'instant où elle passe au-dessus de la baguette, elle donne naissance à des jumeaux. L'un que Math nomme Dylan, esprit marin qui s'enfuit aussitôt vers l'océan, l'autre une espèce de forme indistincte qui tombe de ses cuisses et que seul son frère Gwydion remarque, et prend sous son aile.
Arianrhod fuit la cour de Math sous le joug de l'humiliation.
Gwydion de son côté cache le deuxième enfant dans un coffre, en attendant qu'il reprenne des forces et parvienne à maturité. Un matin, il entend des vagissements provenant du coffre et en sort le bébé, qu'il confie à une nourrice pour qu'elle l'allaite. Le garçon grandit, puis quelques années plus tard, Gwydion décide de le mener jusqu'à Arianrhod.
Il pénètre en son château et elle l'accueille, puis lui demande quel est ce jeune garçon qui reste en arrière, derrière lui. Gwydion lui révèle qu'il s'agit de son fils, ce à quoi Arianrhod répond : "Hélas ! Qu'as-tu en tête pour continuer à m'humilier ainsi ? Pourquoi tant rechercher mon déshonneur ?" Elle demande ensuite à Gwydion le nom de l'enfant, et apprend qu'il n'en a encore aucun. Arianrhod place alors sur la tête de son fils un premier geis, un premier interdit : "I lay this destiny upon him, that he shall never have a name until he receives one from me." (Il n'aura pas de nom avant d'un recevoir un de ma bouche). Gwydion répond qu'il fera tout son possible pour que le garçon reçoive un nom, aussi fort que cela déplaise à Arianrhod, et que si son fils n'a pas de nom, elle en revanche ne peut plus porter celui de demoiselle puisqu'elle a eu des enfants.
Quelques années plus tard, Gwydion transforme son apparence et celle du garçon et retourne en sa compagnie à Caer Arianrhod. Ignorant qu'il s'agit de son fils, elle le nomme Llew Llaw Gyffes en le voyant viser d'une pierre un roitelet, et atteindre sa cible. Cela signifie "le lion à la main rapide". Gwydion révèle la supercherie et, s'apercevant qu'elle a donné elle-même un prénom à son fils, Arianrhod place un second geis sur lui : "I will lay a destiny upon this boy, that he shall never have arms and armour until I invest him with them" (Il ne portera pas d'armes que je ne lui ai d'abord données). Gwydion jure d'y parvenir, et repart.
Le temps passe, et Gwydion se métamorphose de nouveau ainsi que Llew Llas Gyffes. A Caer Arianrhod, tous deux se font passer pour des musiciens et logent pour la nuit dans le château. Mais Gwydion, excellent magicien, donne l'illusion à Arianrhod qu'une flotte entière s'apprête à l'envahir, armée jusqu'aux dents. Pour défendre son château, Arianrhod munit tous les résidents d'armes et de boucliers ; elle arme donc elle-même son fils. Gwydion encore une fois lui révèle sa tromperie. Arianrhod place alors le dernier geis sur Llew Llaw Gyffes : "Now I will lay a destiny upon this youth, that he shall never have a wife of the race that now inhabits this earth" (Il n'aura pas de femme issue de la race humaine qui peuple cette terre).
Cette troisième malédiction est contourné à l'aide de Math, qui crée une femme toute entière faite de fleurs, Blodeuwedd, avec laquelle Llew Llaw Gyffes se marie. Math lui donne aussi un royaume.
Symbolique
J'ai lu de très nombreuses interprétations au sujet de l'histoire d'Arianrhod et de sa personnalité. Au coeur du débat : l'origine de ces enfants dont elle accouche si subitement peut-être suite à un viol de son frère, la raison pour laquelle elle semble s'acharner sur ce fils qui lui naît informe et sur la tête duquel elle place trois malédictions... Voilà ce que j'en ai conclu, pour ma part :
Je crois réellement que les enfants d'Arianrhod sont le résultat d'un viol. Non pas d'un viol physique et corps à corps, mais symbolique, par la baguette de Math. C'est un symbole phallique, et je crois que le moment où elle passe au-dessus de la baguette est un viol. C'est pour cela qu'elle réagit si violemment, et pour cela aussi qu'elle demande à son frère lorsqu'il lui présente son fils pour la première fois pourquoi il cherche à l'humilier encore.
Mais alors, pourquoi ? Math agit noblement en épousant Goewin, et il punit très sévèrement Gwydion et son frère pour avoir fomenté son viol. Il paraît être respectueux et juste, alors pourquoi infliger cela à Arianrhod ? En épousant Goewin, Math la restaure dans un statut de femme digne, avec un statut d'épouse et une vie conjugale qui ne cause pas scandale. En revanche, la vie libre d'Arianrhod a effectivement pu être ressentie comme une trop grande indépendance de la part d'une femme. Peut-être que ces naissances visaient à la rétablir dans un rôle assagi, celui de la Mère qu'elle incarne.
Cela aurait alors pu être un moyen pour Math de lui dire : "regarde, tu es Mère parce qu'en toi tout renaît, mais reconnais aussi que tu es une mère physiquement, dans tous les aspects", quitte à provoquer la chose par la force.
Dans tous les cas, nous en revenons au fait qu'Arianrhod fuit son rôle. Mais je ne crois pas qu'elle le fasse par peur ; elle le fait car ce serait accepter de subir, pour elle, que d'accueillir et élever cet enfant. Ce serait admettre qu'une personne extérieure peut la plier à sa volonté et la conformer dans un rôle qu'elle ne désire pas assumer. Elle n'a pas demandé à l'avoir, pas demandé à lui donner naissance. C'est une déesse si libre que je la pense désireuse de s'affranchir de tout ce qu'elle n'aura pas décidé, elle-même. Et puis, pour une déesse tisseuse de destins, s'en voir infligé un si brutalement...
Enfin, j'ai lu quelqu'un qui parlait de l'histoire d'Arianrhod et disait à propos d'elle : "In the end, as many parents do, Arianrhod gave Llew what he needed... not what he wanted" (Au final, comme beaucoup de parents, Arianrhod a donné à Llew ce dont il avait besoin... pas ce qu'il désirait). En lui infligeant un ensemble d'interdictions, elle le pousse à se forger lui-même son identité et sa légitimité.
Les trois interdictions qu'elle place sur Llew relevaient d'un droit maternel dans ces contrées à cette époque, et elle a choisi d'en user. En faisant cela, elle a placé Llew dans la position de celui qui a tout à construire, tout à forger, y compris lui-même. Au final, sa troisième interdiction aurait contribué à le sauver s'il n'avait pas été contourné, car Blodeuwedd a fini par tuer Llew avec son amant (même si Gwydion a ressuscité Llew plus tard). Au final elle lui a permis de devenir un homme par lui-même, sans tout lui donner d'avance. Les dernières lignes de la Quatrième Branche parlent de Llew comme d'un roi qui prend possession de nouveau de sa terre après avoir ressuscité ; il est marié à son royaume, non à une femme de ce monde, comme Arianrhod l'avait énoncé. Tisseuse de destinée.
Enfin, la honte dont parle Arianrhod quand Gwydion lui présente son fils ne serait pas dirigée contre l'enfant. Lorsqu'elle fuit la cour de Math après l'épreuve et la naissance de ses deux fils, elle renonce à défendre ses droits et sa vision de la liberté, sa vision de la femme, devant une cour qui souhaite la conformer à des principes qu'elle ne souhaite pas suivre. Elle choisit de fuir chez elle, dans un environnement exclusivement féminin qui la comprend, et délaisse l'occasion de changer les mentalités de cette cour masculine.
Quand Gwydion lui présente Llew, elle parlerait donc de la honte d'avoir abandonné, l'espace d'un moment, ses idéaux et ses convictions, d'avoir laissé l'opinion de ces hommes dégrader un instant l'image qu'elle a d'elle-même et de sa propre légitimité. Pour l'auteur, Llew devient aux yeux d'Arianrhod le catalyseur de ce souvenir où elle s'est elle-même abandonnée et trahie.
Toujours selon ses mots, Arianrhod symbolise le fait que parce que l'on est femme, on n'est pas pour autant obligées d'être femme et mère. Que l'on ne se définit pas par l'acte de procréation, et qu'à l'instar d'Arianrhod on peut choisir de s'en détourner. Qu'il ne tient qu'à nous de tisser le fil de nos vies, et que nous n'avons pas à subir ce que l'on cherche à nous imposer. Comme une mère ferme mais aimante, elle nous pousse à nous réaliser par nous-mêmes.
Dernière édition par Rhiannon le Ven 8 Avr 2016 - 17:25, édité 1 fois